22 octobre 2008

CINQUIÈME ALLÉGATION



On a dit que plusieurs copies des livres saints, remontant à une époque antérieure à notre Prophète, existent encore chez les Chrétiens et sont en tous points conformes à celles qu'ils possèdent.


Je dis en premier lieu qu'on affirme ici deux choses :

1) Que ces. livres ont été écrits avant le temps du Prophète (saw)

2) Qu'ils sont conformes aux textes reçus par les Chrétiens de nos jours.

Aucune de ces deux affirmations n'est exacte. Nous savons déjà que ceux qui ont restitué le texte de l'Ancien Testament ne possédaient aucune copie hébraïque du 7ème ou 8 ème siècle ; les copies complètes ne remontaient guère qu'au 10ème siècle ; la plus ancienne copie, que Kennicott ait pu se procurer, est celle qu'on appelle Codex Laudianus, qui date, d'après lui, du 10ème siècle, ou, d'après De Rossi, du 10ème siècle, et lorsque Van der Hooght publia le texte hébraïque complètement vérifié, comme il le prétend, il nota 14.000 variantes dont plus de deux mille pour le Pentateuque seul.

Quant aux copies de la version grecque on en compte trois très anciennes : Le codex Alexandrinus, le Codex Vaticanus, et le Codex Ephremicus. Le premier se trouve à Londres, le second à Rome, et le troisième à Paris. Cette dernière copie ne contient que le Nouveau Testament.

Nous allons examiner la valeur de ces trois textes.

Horne dit, dans le 2ème volume de son Introd., à l'égard du Codex Alexandrinus :"Ce texte est en quatre vols. : les trois premiers contiennent les livres authentiques et apocryphes de l'Ancien Testament : le 4ème contient le Nouveau Testament ; la 1 ère Epître de Clément aux Corinthiens et les Psaumes apocryphes de Salomon". Il dit ensuite : "Les Psaumes sont précédés de l'Epître d'Athanase à Marcellinus et suivis d'un rituel et de 14 autres psaumes dogmatiques, dont le 11ème est l'hymne de Marie, généralement connu sous le nom de Magnificat, et le reste est entièrement faux, ou extrait des Evangiles, et enfin les notes d'Eusèbe sur ces psaumes et ses canons sur les Evangiles.

La valeur de ce texte a été exagéré par les uns et trop abaissée par les autres, surtout par Wetstein. Grabe et Schulze pensent que cette copie doit avoir été écrite avant la fin du 4ème siècle ; selon Michaëlis, ce serait là la date où cette copie a été achevée ; qu'on ne saurait la faire remonter à une époque plus ancienne, puisqu'on y trouve l'Epître d'Athanase. Oudin (Casimir) pense qu'elle a été écrite aux 10ème siècle ; selon Wetstein elle est du 5ème. Ce savant croit que ce texte était une des copies réunies à Alexandrie, en 615 pour servir à la traduction syriaque. Mais le docteur Sernler pense qu'elle fut écrite au 7ème siècle. Montfaucon dit : On ne saurait affirmer d'une manière décisive à l'égard du texte Alexandrin, ou de tout autre, qu'il ait été écrit avant le 6e siècle.

Michaëlis dit que cette copie a été écrite au temps où la langue Arabe devint la langue du peuple en Egypte, c' est à dire 100 ou 200 ans après la prise d'Alexandrie par les Sarrazins, qui eut lieu en 640, parce que le copiste y confond souvent entre eux les m et les b, ce qui a lieu en arabe ; il en conclut que cette copie est tout au plus du 8e siècle.

Selon Woide, elle aurait été faite entre la moitié et la fin du 4ème siècle ; elle ne peut, d'après lui, être antérieure à cette époque, parce qu'elle contient non seulement les Titloi ou Kefhulaia majora, mais aussi les Kefhulaia minora, ou section Ammoniennes (Ammonian sections}. accompagnés de références aux canons d'Eusèbe. Spohn combat les arguments de Woide.

Quelques-uns des principaux arguments de ceux qui soutiennent que ce texte doit être du 4ème ou du 5ème siècle sont : Que les Epîtres de Paul n'y sont pas devisées par chapitres comme les Evangiles, quoique cette division eût commencé à être usitée dès 396, époque à laquelle chaque chap. fut précédé d'un argument ou sommaire ; qu'on y trouve les Epîtres de Clément, qui furent condamnées par les Conciles de Laodicée en 364 et de Carthage en 419 ; Schulze se prévaut de ce fait pour démontrer que cette copie a été écrite avant 364 ; il ajoute à cette conclusion un argument nouveau tiré de la dernière des quatorze hymnes, qui viennent après les psaumes ; cette hymne ne contenant pas à la fin la doxologie :"Dieu saint, Dieu fort. Dieu immortel, aie pitié de nous", qui était en usage entre les années 434 et 446, il conclut que cette copie doit être antérieure à ces années.

Wetstein pense, même qu'elle devait être antérieure à Jérôme, parce que le texte grec y â été altéré sur l'ancienne version italique, et que le scribe semble avoir ignoré que les Arabes étaient désignés par le nom d'Agarènes ; car il a écrit ( 1 Chron. V. 20) (agoraii) au lieu d'agaraiï On a répondu à Wetstein que c'était là une simple erreur de copiste, parce que le nom d'agaraion se rencontre dans le verset précédent (du dit chap.), agaritis dans 1 Chron. XXVII. 31, et agareni dans le Psaumes LXXXII. 7.

Michaëlis dit que tous ces arguments ne prouvent rien ; que cette copie a été faite nécessairement sur une autre, et qu'en supposant que le copiste y ait apporté tous les soins possibles, les arguments que l'on vient de citer doivent se rapporter à l'exemplaire sur lequel on a copié, et non sur cette copie elle-même ; tout au plus on pourrait faire des conjectures sur l'écriture, la forme des lettres et le manque des accents. Une autre preuve que ce codex n'a pas pu être écrit au 4ème siècle est l'opinion du Dr. Semler que l'Epître d'Athanase sur la valeur et l'excellence des psaumes ne peut y avoir été insérée du vivant de l'auteur, mais on doit considérer qu'Athanase avait dès cette époque un très grand nombre de très chaleureux partisans. Oudin déduit du fait de cette Epître que la copie doit être du 10ème siècle, parce que cette Epître est forgée, et elle ne peut avoir été faite du vivant d'Athanase, tandis que le 10ème siècle a été très fertile en productions de ce genre...".

Horne dit, en outre (ib.) au sujet du Codex Vaticanus : "La préface de l'édition des Septante de 1590, dit que cette copie a été faite avant 387, c'est-à-dire, au 4ème siècle. Montfaucon et Blanchini disent qu'elle est du 5ème ou du 6ème siècle, Dupin qu'elle est du 7ème, et le Professeur Hug la croit du 4ème siècle, Marsh du 5ème. Il n'y a pas de manuscrits qui présentent de plus grandes différences entre eux que le codex Alexandrinus et cette copie". Puis il ajoute : "Une chose est digne de remarque qu'aucune des deux copies (le Codex Alexandrinus et le Codex Vaticanus) n'a les astérisques d'Origène, bien que toutes les deux soient du cinquième siècle, ce qui, d'après le Dr. Kennicott, serait une preuve qu'elles ne furent, ni médiatement, ni immédiatement, prises des Hexaples", mais sur des textes qui n'avaient pas été soumis à sa recension, c'est-à-dire, à une époque où ce signe dans les copies était déjà abandonné.

Le même Horne dit ensuite au même vol., en parlant du Codex Ephremii : "Wetstein dit, mais sans le prouver, que cette copie est une de celles qu'on avait réunies à Alexandrie, en 616, pour collationner la traduction syriaque ; il croit pouvoir affirmer d'après la note en marge de l'Epître aux Hébreux (VIII. 7) que cette copie a été écrite avant 542. Mais Michaëlis ne trouve pas cette déduction assez fondée et se borne à dire que le Codex est assez ancien. D'après Marsh il serait du 7e siècle".

On voit par ce qui précède que les Chrétiens n'ont pas de preuves certaines pour déterminer la date de ces copies, dont aucune ne porte, à la fin, mention de l'année où elle aurait été faite, comme cela se voit dans la plupart des livres musulmans. Tout ce que ces savants disent ne repose que sur des conjectures, ce qui n'est pas suffisant pour convaincre les contradicteurs. Les raisons de ceux qui croient que le codex d'Alexandrie a été écrit au 4ème ou 5ème siècle sont d'une extrême faiblesse, et l'hypothèse de Semler est peu vraisemblable, parce que la langue d'un pays ne change pas d'un jour à l'autre, comme il semble le supposer, et les Arabes se sont emparés d'Alexandrie au 7ème siècle de l'ère Chrétienne, c' est à dire, dans la 20ème année de l'Hégire, selon l'opinion la plus accréditée.

Les arguments de Michaëlis sont plus solides ; il faut conclure que cette copie ne peut avoir été faite avant le 8ème siècle ; il est même, possible, comme le dit Oudin, qu'elle soit du 10ème siècle, époque où les falsifications étaient le plus fréquentes ; et ce qui confirme cette manière de voir, c'est que cette copie contient aussi les livres apocryphes, c'est-à-dire, que le copiste doit avoir vécu à une époque où il était difficile de distinguer les livres canoniques des apocryphes, et le 10ème siècle est l'époque par excellence où cette distinction était le plus impossible à faire.

Il est difficile du reste de croire que les manuscrits aient pu se conserver aussi parfaitement pendant plus de 1400 ans, surtout si on réfléchit que les moyens de conservation et de transcription n'étaient pas bien perfectionnés à cette époque.

Michaelis réfute les arguments de Watson à l'égard du Codex Ephremii ; j'ai déjà mentionné les opinions de et Montfaucon et de Kennicott ; celles de Dupin à l'égard du Codex Vaticanus et celles de Marsh qui croit que le codex Ephremii et le Codex Vaticanus sont du 7ème siècle. Il résulte de tout cela que la première affirmation (c'est-à-dire, l'existence de textes authentiques avant Muhammad) n'est pas fondée, parce que le Prophète, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui, apparut à la fin du 6ème siècle de l'ère Chrétienne ; d'autre part, s'il est vrai que le Codex Alexandrinus contient des livres apocryphes, que plusieurs critiques, et notamment Wetstein, ont nié toute valeur à ce texte, et qu'il diffère de tout point du Codex Vaticanus.

Si tout cela est vrai, je dis Que la seconde assertion ( c' est à dire que ces codex sont conformes aux textes reçus par les Chrétiens de nos jours) n'est pas plus fondée que la première. Je dis en second lieu qu'en admettant même que ces trois copies soient antérieures à Muhammad, que la bénédiction, cela ne nuirait point à notre cause ; nous ne disons pas en effet que les Ecritures, que les Chrétiens considèrent comme saintes, n'étaient pas corrompues avant la venue du Prophète, et qu'elles l'ont été à partir de cette époque ; nous reconnaissons que ces livres existaient avant la mission de Muhammad ; mais nous soutenons, en même temps, qu'il n'y a pas de traditions suivies prouvant leur authenticité, et qu'ils étaient corrompus déjà dès cette époque et l'ont été plus encore par la suite. La multiplicité même des copies ne serait pas suffisante à détruire cette assertion, au lieu de trois en existerait-il mille comme le code d'Alexandrie, que cela ne ferait que militer en notre faveur, l'existence des livres apocryphes dans ces copies et les nombreuses variantes qu'elles contiennent ne feraient que prouver encore mieux que les livres des Chrétiens ont été corrompus dès les premiers siècles du Christianisme.
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